Atelier 18 – ÉCRITURES ET PSYCHANALYSE
Responsables de l’atelier
Éléonore Lainé-Forrest
Université de Nouvelle-Calédonie
eleonore.laine-forrest@unc.nc
Pascal Bataillard
Université Lumière-Lyon2
pascal.bataillard@univ-lyon2.fr
Rédouane Abouddahab
Université du Mans
r.abouddahab@free.fr
Rédouane Abouddahab
Université du Mans
r.abouddahab@free.fr
Imaginaire de la frontière et épreuve des limites chez Naomi Shihab Nye
On se déplace beaucoup chez Naomi Shihab Nye, poétesse qui fait de la traversée des frontières un véritable leitmotiv poétique, conjoignant paysages désertiques du Texas, aux hauts plateaux de l’Amérique centrale et aux dunes du désert de la péninsule arabique. Voyages internationaux et nationaux, déambulations, migration, exil et « retours » imaginaires vers les lieux de l’origine palestinienne, ou élans vers l’ailleurs rêvé ou fantasmé…, créent dans la scène poétique un horizon de possibles où les objets du désir se manifestent en diverses formes et situations, souvent riches en découvertes, s’éployant et interagissant en continu pour inventer un paysage transculturel qui absorbe et apaise les tensions dues à la nostalgie ou à la « mise en altérité ».
Ce déplacement « horizontal » ou analogique, qui marque l’écriture de Naomi Shihab Nye du sceau d’une narrativité communicative, est néanmoins contraint de l’intérieur de la scène poétique par des nécessités et urgences qui constituent la véritable matrice où s’élabore le sens comme ensemble dynamique de potentialités d’équivoque que le poème offre à l’interprétation non plus de ce qu’il communique selon une volonté ou une « conscience de soi » poétique (Yves Bonnefoy), mais de ce qu’il signifie en ouvrant sur l’altérité de l’inconscient comme « un savoir-faire avec lalangue » (Lacan).
Dès lors, la frontière peut être lue comme une figure sylleptique de la limite symbolique franchie par le « sujet » poétique, excédant le sens qu’il génère et oriente dans le cadre idéologique qui est le sien, se dirigeant comme malgré lui, vers l’Autre limite (limite du réel) où la mort se fait jouissance et par quoi l’écriture se fait épreuve de vérité.
Biographie
Rédouane Abouddahab est enseignant-chercheur à l’Université du Mans, où il enseigne la littérature nord-américaine. Sa recherche associe un intérêt prononcé pour la poétique textuelle éclairée par la théorie psychanalytique, qu’il articule en outre avec des concepts anthropologiques et philosophiques. Il a publié plusieurs travaux dans ce domaine, notamment sur Ernest Hemingway, Naomi Shihab Nye, Toni Morrison, John Steinbeck, Scott Momaday, Millhauser…
Pascal Bataillard
Université Lumière-Lyon2
pascal.bataillard1@gmail.com
Joyce avec ou contre Wolfson, les passages du no man’s land
Nous interrogerons ici les notions de frontière et de déplacement, sous les espèces du transfert et de la traduction, à partir de l’œuvre de Joyce, lue à l’épreuve du texte de Louis Wolfson, Le Schizo et les langues (sans négliger la préface que lui donna Deleuze et sa version revue plus tard dans Critique et clinique), et avec quelques références à l’œuvre de Raymond Roussel, surtout en ce qui concerne son procédé, à la fois principe (génératif) et méthode, et le diagnostic souvent posé sur lui de schizophrène.
Un tel principe est clairement au cœur de ce que développe très longuement Wolfson avec une méthode d’autotraduction très complexe lui permettant d’échapper à la voix persécutrice de sa mère, beaucoup moins directement repérable chez le jeune Joyce où il est plutôt question d’énigme à interroger, en particulier « the enigma of a manner », à l’opposé du travail enclenché avec les premiers jets du Work in Progress, qui fit s’interroger bon nombre des admirateurs d’Ulysse sur la santé mentale de son auteur.
Cependant, il est à noter que cette énigme est d’abord une protection à opposer aux autres (« Portrait of the Artist », 1904) et un principe de négation (que Joyce appelle curieusement, comme le notait Jacques Aubert, son Nego). Cette forme de négation à l’œuvre chez Wolfson, « le jeune schizo étudiant en langues », nous la rapprocherons avec François Perrier des 4 ver- de Freud (Verdrängung, Verneinung, Verwerfung, Verleugnung), avec quelques questions de traduction à la clé (voir « Ruer des quatre ver ou les fonctions de méconnaissance du sujet »).
Enfin, il s’agira de déterminer quel sens peut être donné à l’échappée, langagière et linguistique, de Joyce le menant à Finnegans Wake, vers quels confins et pour quelle fin, avec quelle part de mort à l’œuvre dans le vif de la langue ou des langues, vers quel no man’s land, pour quel no-mad-isme, « First you were Nomad, next you were Namar, now you’re Numah and it’s soon you’ll be Nomon. » (FW 374.22-23).
Biographie
Pascal Bataillard est enseignant-chercheur à l’Université Lumière-Lyon 2, où il enseigne littérature et traduction. Sa recherche porte aujourd’hui sur Joyce et des auteurs et autrices irlandaises des 20e et 21e siècles telle que Anne Enright ou Colum McCann, ainsi que sur des problématiques liées à la traduction, l’adaptation et la réécriture, aux croisées des champs littéraires, psychanalytiques et philosophiques.
Laura Davidel
Université de Lorraine
contact@lauradavidel.com
Crossing Self-Imposed Boundaries: Eating Disorders in Women Vampires’ Consumption of Blood
The rise of the vegetarian vampire[1] who refrains from human blood consumption is illustrated by Anne Rice’s Louis, Stephenie Meyers’ the Cullens, and Bill Compton in True Blood, among others. Contrary to these vegetarian vampires, women vampires have a more complicated relationship to feeding on human blood. Their patterns of consumption encompass both restraint and excess, which can be interpreted in relation to eating disorders, such as anorexia and binge eating.
This presentation will focus on Anne Rice’s Pandora and Claire Kohda’s Woman, Eating to discuss how Pandora and Lydia, each cope with their hunger for blood. Both vampires are depicted as exercising self-starvation, with instances of binge eating that represent crossing the boundaries imposed by the superego in relation to feeding practices. This talk will draw on psychoanalytic perspectives of eating disorders and specifically on Tom Wooldrige’s notion of “the hungry self” that is “sadistically subjugated by another part of the self, developed through a powerful identification with an abusive parental figure.”[2] While the subjugating part of the self keeps the hungry self within boundaries of control, “underlying feelings of need and rage”[3] resurface in binge eating episodes.
Pandora’s period of starvation will be considered through the lens of anorexia as a conscious act of setting boundaries and an attempt to keep the hungry self under control. Her episode of binge-eating will be discussed in relation to the concept of the abject. Furthermore, Lydia’s anorexic tendency coupled with an obsession for watching videos of women eating will be considered as a form of vicarious consumption. Lydia’s binge-eating leads her to acknowledge a part of her identity – her Malaysian side – and opens the possibility of experiencing other food through her victims’ memories.
Biographie
Laura Davidel est titulaire d’un doctorat en littérature américaine de l’Université de Lorraine. Sa thèse a porté sur la construction de la monstruosité à l’aune de la performativité et de la performance, et en lien avec la liminalité, la queerness et la procréation, dans Chroniques des vampires d’Anne Rice. Ses publications portent sur la compulsion alimentaire du vampire, la construction de l’identité monstrueuse du vampire et la « narration transmédia » des immortels. Elle enseigne l’anglais à l’Université de Lorraine, Metz.
Éléonore Lainé-Forrest
Université de Nouvelle-Calédonie
eleonore.laine-forrest@unc.nc
La notion de « homelessness » (Moreton-Robinson) telle qu’elle est traitée dans The Yield (2019) de Tara June Winch
‘That’s the Southern Cross, lady. That means you don’t belong here.’
Cette communication s’intéresse à la façon dont The Yield (2019) de Tara June Winch expose le lien intrinsèque entre l’effondrement environnemental et les abus que continue de subir les premières nations australiennes. Comment cette fiction dessine la destruction des écosystèmes et des êtres, humains et non humains, qui leur sont liés, par le colonialisme, hier, et les nouvelles formes d’impérialisme auxquelles il a donné vie aujourd’hui ? Cette question incarnera le fil directeur de l’analyse proposée et permettra de dessiner une écologie décoloniale (Ferdinand), voie que l’écriture winchienne propose de suivre pour rompre avec les logiques impérialistes du monde moderne, mu par un refoulé tout puissant.
Biographie
Eléonore Lainé Forrest est maître de conférences à l’Université de la Nouvelle-Calédonie où elle est membre du laboratoire Trajectoires d’OCéAnie (TROCA). Spécialisée dans les écritures de fiction contemporaine australiennes et américaines, elle travaille actuellement sur les notions de centre et de marge, et éclaire la façon dont la littérature australienne signifie les mécanismes des sociétés (post)coloniales et leurs effets destructeurs sur la Terre et sur les êtres vivants, en particulier sur les peuples premiers, les femmes, et les non-humains.
Aya Masmoudi
Université du Mans
masmoudiaya.am@gmail.com
The Arab-American immigrant experience: a study of Ameen Rihani’s The Book of Khalid
The aim of this paper is to provide an insight into a pioneer 20th century Arab-American writer, Ameen Rihani, and his most prominent narrative The Book of Khalid.
Towards the end of the 19th century and the beginning of the 20th century, at a time when the United States was marked with an increasing influx of migrant populations, particularly from the region of greater Syria (as denominated at the time), Rihani succeeded in crafting a key work of Arab Emigré literature that portrays the various existing socio-cultural and political issues that characterized the Arab populations’ existence in America at the time. Being an Arab Emigré himself, Rihani’s fierce advocacy and strive for Arab unity and independence, especially from from Ottoman domination, has been the leading motive behind his literary contributions, among many others.
This paper is, therefore, an attempt to provide an in-depth analysis of the distinctive literary devices that characterize Rihani’s novel The Book of Khalid. The latter paints a vivid picture of Ameen Rihani as a cultural mediator who bridges the gap between the East and the West and attempts to set up a new definition of both entities. I will demonstrate, by means of pertinent examples and quotations, that Rihani’s protagonist’s perspective emanates from the author’s personal immigrant experience and continuous endeavor to join two different yet somewhat similar worlds, “the material Western world” and the “spiritual Eastern world”, as asserted by the main character, whose desire can thus be analyzed in light of the imaginary function and the will for transculturality.
Biographie
Aya Masmoudi prépare une thèse à l’Université du Mans en tant qu’allocatrice doctorale, depuis septembre 2023, sous la direction de Rédouane Abouddahab. Sa thèse est intitulée Le sujet transculturel : poétique, éthique et politique chez Gibran Khalil Gibran et Ameen Rihani, deux écrivains « arabo-américains » de la première génération (1910-1930).
Maëla Pelleter
Université du Mans
maelapel@hotmail.fr
La nature comme frontière temporelle et fantasmatique dans les nouvelles « Big Two Hearted River » de Ernest Hemingway et « Wake for Susan » de Cormac McCarthy
“He was in his home where he had made it”, écrit Ernest Hemingway dans “Big Two-Hearted River”[4] lorsque son protagoniste Nick Adams termine d’installer son campement près de la rivière. Appréhender la nature en façonnant une réalité familière est un désir récurrent pour les personnages de Hemingway ; désir que l’on retrouve également dans les œuvres de Cormac McCarthy ; notamment dans sa nouvelle « Wake for Susan »[5] qui fera l’objet de cette analyse.
Ces deux nouvelles de jeunesse abordent en effet la nature et le retour à un état antérieur : celui de l’enfance pour Nick, et celui fantasmé par le protagoniste de McCarthy ; Wes, qui se souvient d’une idylle imaginaire symbolisant une époque révolue.
La passé, l’Histoire, la perte et l’espoir sont les thèmes que nous retrouvons chez les deux auteurs et qui s’inscrivent dans un décor naturel important dans le déroulement de la narration.
Le rôle de la forme esthétique se montrera essentiel chez les deux auteurs pour révéler l’intériorité des personnages qui ne se trouvera jamais anéantie par le choix d’une grande sobriété émotive. La nature ; et plus spécifiquement la forêt, est un lieu presque mystique chez ces deux auteurs qui en font un réceptacle de souvenirs et une frontière entre le passé et le présent, mais aussi entre le fantasme et le réel. Nous verrons comment se matérialisent ces limites symboliques et s’opère leur franchissement par les protagonistes.
Cette étude proposera d’analyser comment la nature devient une frontière convergente où le passé et le présent se confondent et un lieu dichotomique tendant à mettre en lumière le désir du sujet.
Biographie
Maëla Pelleter est doctorante à l’Université du Mans. Elle prépare une thèse intitulée Obscure clarté. Désir et divertissement dans l’œuvre de Hemingway. Une lecture psychanalytique et philosophique, sous la direction de Rédouane Abouddahab.
Sophie Dungan, Reading the Vegetarian Vampire, Palgrave Gothic (Cham: Springer International Publishing, 2022). ↑
Wooldridge, Tom. “Binge eating disorder: The subjugation of the “hungry self””. Psychoanalytic Psychology, 39(4), 2022, p. 287 ↑
Wooldridge, p. 289 ↑
The Complete Short Stories : The Finca Vigia Edition, 1987. ↑
“Wake for Susan.” The Phoenix (University of Tennessee Orange and White Literary Supplement), 1959. ↑